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Et sans sortir du joug où leur loi la condamne,

Il faut qu'un fils naissant la déclare sultane.

Amurat plus ardent, et seul jusqu'à ce jour,

A voulu que l'on dût ce titre à son amour.

J'en reçus la puissance aussi bien que le titre,

Et des jours de son frère il me laissa l'arbitre.

Mais ce même Amurat ne me promit jamais

Que l'hymen dût un jour couronner ses bienfaits,

Et moi, qui n'aspirais qu'à cette seule gloire,

De ses autres bienfaits j'ai perdu la mémoire.

Toutefois, que sert-il de me justifier?

Bajazet, il est vrai, m'a tout fait oublier.

Malgré tous ses malheurs, plus heureux que son frère,

Il m'a plu, sans peut-être aspirer à me plaire.

Femmes, gardes, vizir, pour lui j'ai tout séduit;

En un mot, vous voyez jusqu'où je l'ai conduit.

Grâces à mon amour, je me suis bien servie

Du pouvoir qu'Amurat me donna sur sa vie.

Bajazet touche presque au trône des sultans:

Il ne faut plus qu'un pas; mais c'est où je l'attends.

Malgré tout mon amour, si, dans cette journée,

Il ne m'attache à lui par un juste hyménée,

S'il ose m'alléguer une odieuse loi,

Quand je fais tout pour lui, s'il ne fait tout pour moi,

Dès le même moment, sans songer si je l'aime,

Sans consulter enfin si je me perds moi-même,

J'abandonne l'ingrat, et le laisse rentrer

Dans l'état malheureux d'où je l'ai su tirer.

Voilà sur quoi je veux que Bajazet prononce.

Sa perte ou son salut dépend de sa réponse.

Je ne vous presse point de vouloir aujourd'hui

Me prêter votre voix pour m'expliquer à lui:

Je veux que devant moi sa bouche et son visage

Me découvrent son cœur sans me laisser d'ombrage,

Que lui-même, en secret amené dans ces lieux,

Sans être préparé se présente à mes yeux.

Adieu. Vous saurez tout après cette entrevue.

====Scène