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Pour ne la plus aimer, j’ai cent fois combattu.
Je n’ai pu l’oublier ; au moins, je me suis tû.
De votre changement la flatteuſe apparence,
M’avoit rendu tantôt quelque foible eſpérance.
Les larmes de la reine ont éteint cet eſpoir.
Ses yeux, baignés de pleurs, demandoient à vous voir.
Je ſuis venu, Seigneur, vous appeller moi-même,
Vous êtes revenu. Vous aimez, on vous aime ;
Vous vous êtes rendu, je n’en ai point douté.
Pour la dernière fois je me ſuis conſulté,
J’ai fait de mon courage une épreuve dernière,
Je viens de rappeler ma raiſon tout entière,
Jamais je ne me ſuis ſenti plus amoureux.
Il faut d’autres efforts pour rompre tant de nœuds,
Ce n’eſt qu’en expirant que je puis les détruire.
J’y cours. Voilà de quoi j’ai voulu vous inſtruire.
Oui, Madame, vers vous j’ai rappellé ſes pas,
Mes ſoins ont réuſſi, je ne m’en repens pas.
Puiſſe le ciel verſer ſur toutes vos années
Mille proſpérités l’une à l’autre enchaînées.
Ou, s’il vous garde encore un reſte de courroux,
Je conjure les Dieux d’épuiſer tous les coups,
Qui pourroient menacer une ſi belle vie,
Sur ces jours malheureux que je vous ſacrifie.

Bérénice, ſe levant.

Arrêtez. Arrêtez, princes trop généreux.
En quelle extrémité me jetez-vous tous deux !
Soit que je vous regarde, ou que je l’enviſage,
Partout du déſeſpoir je rencontre l’image :
Je ne vois que des pleurs ; & je n’entends parler
Que de trouble, d’horreurs, de ſang prêt à couler.

(à Titus.)

Mon cœur vous eſt connu, Seigneur, & je puis dire
Qu’on ne l’a jamais vu ſoupirer pour l’empire.
La grandeur des romains, la pourpre des Céſars,
N’a point, vous le ſavez, attiré mes regards.
J’aimois, Seigneur, j’aimois, je voulois être aimée.
Ce jour, je l’avouerai, je me ſuis allarmée.