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Qu’ai-je trouvé ? Je vois la mort peinte en vos yeux ;
Je vois, pour la chercher, que vous quittez ces lieux.
C’en eſt trop. Ma douleur, à cette triſte vue,
À ſon dernier excès eſt enfin parvenue.
Je reſſens tous les maux que je puis reſſentir ;
Mais je vois le chemin par où j’en puis ſortir.
Ne vous attendez point que, las de tant d’allarmes,
Par un heureux hymen je tariſſe vos larmes.
En quelque extrémité que vous m’ayez réduit,
Ma gloire inexorable à toute heure me ſuit.
Sans ceſſe, elle préſente à mon ame étonnée,
L’empire incompatible avec votre hyménée ;
Me dit qu’après l’éclat, & les pas que j’ai faits,
Je dois vous épouſer encor moins que jamais.
Oui, Madame ; & je dois moins encore vous dire,
Que je ſuis prêt pour vous d’abandonner l’empire,
De vous ſuivre, & d’aller, trop content de mes fers,
Soupirer avec vous au bout de l’univers.
Vous même rougiriez de ma lâche conduite.
Vous verriez, à regret, marcher à votre ſuite
Un indigne empereur, ſans empire, ſans cour,
Vil ſpectacle aux humains des foibleſſes d’amour.
Pour ſortir des tourmens, dont mon ame eſt la proie,
Il eſt, vous le ſavez, une plus noble voie.
Je me ſuis vu, Madame, enſeigner ce chemin,
Et par plus d’un héros, & par plus d’un romain.
Lorſque trop de malheurs ont laſſé leur conſtance,
Ils ont tous expliqué cette perſévérance,
Dont le ſort s’attachait à les perſécuter,
Comme un ordre ſecret de n’y plus réſiſter.
Si vos pleurs plus long-temps viennent frapper ma vue ;
Si toujours à mourir je vous vois réſolue ;
S’il faut qu’à tous momens je tremble pour vos jours ;
Si vous ne me jurez d’en reſpecter le cours ;
Madame ; à d’autres pleurs vous devez vous attendre.
En l’état où je ſuis je puis tout entreprendre ;
Et je ne réponds pas que ma main, à vos yeux,
N’enſanglante à la fin nos funeſtes adieux.