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Et n’as-tu pas encore oui la renommée
T’annoncer ton devoir juſques dans ton armée ?
Et, lorſque Bérénice arriva ſur tes pas,
Ce que Rome en jugeoit, ne l’entendis-tu pas ?
Faut-il donc tant de fois te le faire redire ?
Ah, lâche, fais l’amour, & renonce à l’empire.
Au bout de l’univers va, cours te confiner,
Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.
Sont-ce là ces projets de grandeur & de gloire,
Qui devoient dans les cœurs conſacrer ma mémoire ?
Depuis huit jours je regne ; &, juſques à ce jour,
Qu’ai-je fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour.
D’un temps ſi précieux quel compte puis-je rendre ?
Où ſont ces heureux jours que je faiſois attendre ?
Quels pleurs ai-je ſéchés ? Dans quels yeux ſatisfaits
Ai-je déjà goûté le fruit de mes bienfaits ?
L’univers a-t-il vu changer ſes deſtinées ?
Sais-je combien le ciel m’a compté de journées ?
Et de ce peu de jours, ſi long-temps attendus,
Ah, malheureux, combien j’en ai déjà perdus !
Ne tardons plus. Faiſons ce que l’honneur exige.
Rompons le ſeul lien…


Scène V.

BÉRÉNICE, TITUS.
Bérénice, en entrant.

Rompons le ſeul lien…Non, laiſſez-moi, vous dis-je ;
En vain tous vos conſeils me retiennent ici,
Il faut que je le voie. Ah, Seigneur, vous voici !
Hé bien, il eſt donc vrai que Titus m’abandonne !
Il faut nous ſéparer ; & c’eſt lui qui l’ordonne.

Titus

N’accablez point, Madame, un prince malheureux.
Il ne faut point ici nous attendrir tous deux.