Il ne me reviendra que le nouveau tourment
D’apprendre par ſes pleurs à quel point elle l’aime.
Je la verrai gémir, je la plaindrai moi-même.
Pour fruit de tant d’amour, j’aurai le triſte emploi
De recueillir des pleurs qui ne ſont pas pour moi.
Quoi ? ne vous plairez-vous qu’à vous gêner ſans ceſſe ?
Jamais dans un grand cœur vit-on plus de foibleſſe ?
Ouvrez les yeux, Seigneur ; & ſongeons, entre nous,
Par combien de raiſons Bérénice eſt à vous.
Puiſque aujourd’hui Titus ne prétend plus lui plaire,
Songez que votre hymen lui devient néceſſaire.
Néceſſaire ?
De ſes premiers ſanglots laiſſez paſſer le cours.
Tout parlera pour vous, le dépit, la vengeance,
L’abſence de Titus, le temps, votre préſence,
Trois ſceptres que ſon bras ne peut ſeul soutenir,
Vos deux états voiſins, qui cherchent à s’unir.
L’intérêt, la raiſon, l’amitié, tout vous lie.
Ah, je reſpire, Arſace, & tu me rends la vie.
J’accepte avec plaiſir un préſage ſi doux.
Que tardons-nous ? Faiſons ce qu’on attend de nous.
Entrons chez Bérénice ; &, puiſqu’on nous l’ordonne,
Allons lui déclarer que Titus l’abandonne.
Mais plutôt demeurons. Que faiſois-je ? Eſt-ce à moi,
Arſace, à me charger de ce cruel emploi ?
Soit vertu, ſoit amour, mon cœur s’en effarouche.
L’aimable Bérénice entendrait de ma bouche,
Qu’on l’abandonne ! Ah, reine ! et qui l’auroit penſé
Que ce mot dût jamais vous être prononcé ?