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Antiochus

Qu’entens-je ? Ô Ciel !

Titus

Qu’entens-je ? Ô Ciel !Plaignez ma grandeur importune.
Maître de l’Univers, je règle ſa fortune,
Je puis faire les rois, je puis les dépoſer,
Cependant de mon cœur je ne puis diſpoſer.
Rome, contre les rois de tout temps ſoulevée,
Dédaigne une beauté dans la pourpre élevée.
L’éclat du diadème, & cent rois pour ayeux
Déshonorent ma flamme, & bleſſent tous les yeux.
Mon cœur, libre d’ailleurs, ſans craindre les murmures,
Peut brûler à ſon choix dans des flammes obſcures ;
Et Rome, avec plaiſir, recevroit de ma main
La moins digne beauté qu’elle cache en ſon ſein.
Jules céda lui-même au torrent qui m’entraîne.
Si le peuple demain ne voit partir la reine,
Demain elle entendra ce peuple furieux
Me venir demander ſon départ à ſes yeux.
Sauvons de cet affront mon nom & ſa mémoire ;
Et puiſqu’il faut céder, cédons à notre gloire.
Ma bouche & mes regards, muets depuis huit jours,
L’auront pû préparer à ce triſte diſcours.
Et même, en ce moment, inquiète, empreſſée,
Elle veut qu’à ſes yeux j’explique ma penſée.
D’un amant interdit ſoulagez le tourment.
Épargnez à mon cœur cet éclairciſſement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon ſilence.
Sur-tout, qu’elle me laiſſe éviter ſa préſence.
Soyez le ſeul témoin de ſes pleurs & des miens.
Portez-lui mes adieux, & recevez les ſiens.
Fuyons tous deux, fuyons un ſpectacle funeſte,
Qui de notre conſtance accablerait le reſte.
Si l’eſpoir de régner & de vivre en mon cœur,
Peut de ſon infortune adoucir la rigueur,
Ah ! Prince ! jurez-lui que toujours trop fidelle,
Gémiſſant dans ma cour, & plus exilé qu’elle,