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Avec le même éclat n’a pas ſemé mon nom.
Ma jeuneſſe, nourrie à la cour de Néron,
S’égaroit, cher Paulin, par l’exemple abuſée
Et ſuivoit du plaiſir la pente trop aiſée.
Bérénice me plut. Que ne fait point un cœur
Pour plaire à ce qu’il aime, & gagner ſon vainqueur ?
Je prodiguai mon ſang. Tout fit place à mes armes.
Je revins triomphant. Mais le ſang & les larmes
Ne me ſuffiſoient pas pour mériter ſes vœux.
J’entrepris le bonheur de mille malheureux.
On vit de toutes parts mes bontés ſe répandre ;
Heureux, & plus heureux que tu ne peux comprendre,
Quand je pouvois paraître à ſes yeux ſatisfaits,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits !
Je lui dois tout, Paulin. Récompenſe cruelle !
Tout ce que je lui dois va retomber ſur elle.
Pour prix de tant de gloire, & de tant de vertus,
Je lui dirai ; Partez, & ne me voyez plus.

Paulin

Hé quoi, Seigneur, hé quoi ? Cette magnificence
Qui va juſqu’à l’Euphrate étendre ſa puiſſance ;
Tant d’honneurs, dont l’excès a ſurpris le ſénat,
Vous laiſſent-ils encor craindre le nom d’ingrat ?
Sur cent peuples nouveaux Bérénice commande.

Titus

Faibles amuſements d’une douleur ſi grande !
Je connais Bérénice, & ne ſais que trop bien
Que ſon cœur n’a jamais demandé que le mien.
Je l’aimai, je lui plûs. Depuis cette journée,
Dois-je dire funeſte, hélas, ou fortunée ?
Sans avoir, en aimant, d’objet que ſon amour,
Étrangère dans Rome, inconnue à la cour,
Elle paſſe ſes jours, Paulin, ſans rien prétendre
Que quelque heure à me voir, & le reſte à m’attendre.
Encor ſi, quelquefois, un peu moins aſſidu
Je paſſe le moment où je ſuis attendu,
Je la revois bien-tôt de pleurs toute trempée ;
Ma main à les ſécher eſt long-temps occupée.