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Ont craint cette loi ſeule, & n’ont point, à nos yeux,
Allumé le flambeau d’un hymen odieux.
Vous m’avez commandé ſur-tout d’être ſincère.
De l’affranchi Pallas nous avons vû le frère,
Des fers de Claudius Félix encor flétri,
De deux reines, Seigneur, devenir le mari ;
Et, s’il faut jusqu’au bout que je vous obéiſſe,
Ces deux reines étoient du ſang de Bérénice.
Et vous croiriez pouvoir, ſans bleſſer nos regards,
Faire entrer une reine au lit de nos Céſars !
Tandis que l’Orient, dans le lit de ſes reines,
Voit paſſer un eſclave au sortir de nos chaînes ?
C’eſt ce que les Romains penſent de votre amour,
Et je ne répons pas, avant la fin du jour,
Que le ſénat, chargé des vœux de tout l’empire,
Ne vous rediſe ici ce que je viens de dire ;
Et que Rome, avec lui, tombant à vos genoux,
Ne vous demande un choix digne d’elle & de vous.
Vous pouvez préparer, Seigneur, votre réponſe.

Titus

Hélas, à quel amour on veut que je renonce !

Paulin

Cet amour est ardent, il le faut confeſſer.

Titus

Plus ardent mille fois que tu ne peux penſer,
Paulin. Je me ſuis fait un plaiſir néceſſaire
De la voir chaque jour, de l’aimer, de lui plaire.
J’ai fait plus. Je n’ai rien de ſecret à tes yeux.
J’ai pour elle, cent fois, rendu graces aux Dieux,
D’avoir choiſi mon père au fond de l’Idumée,
D’avoir rangé ſous lui l’Orient & l’armée ;
Et, ſoulevant encor le reſte des humains,
Remis Rome ſanglante en ſes paiſibles mains.
J’ai même ſouhaité la place de mon père ;
Moi, Paulin, qui, cent fois, ſi le ſort moins ſévère
Eût voulu de ſa vie étendre les liens,
Aurois donné mes jours pour prolonger les ſiens ;