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Qu’au travers des flatteurs votre ſincérité
Fît toujours juſqu’à moi paſſer la vérité.
Parlez donc. Que faut-il que Bérénice eſpère ?
Rome lui ſera-t-elle indulgente ou ſévère ?
Dois-je croire qu’aſſiſe au trône des Céſars,
Une ſi belle reine offenſât ſes regards ?

Paulin

N’en doutez point, Seigneur. Soit raiſon, ſoit caprice,
Rome ne l’attend point pour ſon impératrice.
On ſait qu’elle eſt charmante. Et de ſi belles mains
Semblent vous demander l’empire des humains.
Elle a même, dit-on, le cœur d’une Romaine.
Elle a mille vertus. Mais, Seigneur, elle eſt reine.
Rome, par une loi qui ne ſe peut changer,
N’admet avec ſon ſang aucun ſang étranger ;
Et ne reconnoît point les fruits illégitimes
Qui naiſſent d’un hymen contraire à ſes maximes.
D’ailleurs, vous le ſavez, en banniſſant ſes rois,
Rome, à ce nom ſi noble, & ſi ſaint autrefois,
Attacha, pour jamais, une haine puiſſante ;
Et, quoiqu’à ſes Céſars fidèle, obéiſſante,
Cette haine, Seigneur, reſte de ſa fierté,
Survit dans tous les cœurs après la liberté.
Jules, qui le premier le ſoumit à ſes armes,
Qui fit taire les lois dans le bruit des allarmes,
Brûla pour Cléopâtre ; &, ſans ſe déclarer,
Seule dans l’Orient la laiſſa ſoupirer.
Antoine, qui l’aima jusqu’à l’idolâtrie,
Oublia dans ſon ſein ſa gloire & ſa patrie,
Sans oſer toutefois ſe nommer ſon époux.
Rome l’alla chercher juſques à ſes genoux ;
Et ne déſarma point ſa fureur vengereſſe,
Qu’elle n’eût accablé l’amant & la maîtreſſe.
Depuis ce temps, Seigneur, Caligula, Néron,
Monſtres, dont à regret je cite ici le nom,
Et qui ne conſervant que la figure d’homme,
Foulèrent à leurs pieds toutes les lois de Rome,