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Je demeurai longtemps errant dans Céſarée,
Lieux charmans, où mon cœur vous avoit adorée.
Je vous redemandois à vos triſtes états ;
Je cherchois, en pleurant, les traces de vos pas.
Mais enfin, ſuccombant à ma mélancolie,
Mon déſeſpoir tourna mes pas vers l’Italie.
Le ſort m’y réſervoit le dernier de ſes coups.
Titus, en m’embraſſant, m’amena devant vous,
Un voile d’amitié vous trompa l’un & l’autre,
Et mon amour devint le confident du vôtre.
Mais toujours quelque eſpoir flattoit mes déplaiſirs.
Rome, Veſpaſien, traverſoient vos ſoupirs.
Après tant de combats, Titus cédoit peut-être.
Veſpaſien eſt mort, & Titus eſt le maître.
Que ne fuyois-je alors ! J’ai voulu quelques jours
De ſon nouvel empire examiner le cours.
Mon ſort eſt accompli. Votre gloire s’apprête.
Aſſez d’autres, ſans moi, témoins de cette fête,
À vos heureux tranſports viendront joindre les leurs ;
Pour moi, qui ne pourrois y mêler que des pleurs,
D’un inutile amour trop conſtante victime,
Heureux dans mes malheurs, d’en avoir pû, ſans crime,
Conter toute l’hiſtoire aux yeux qui les ont faits,
Je pars plus amoureux que je ne fus jamais.

Bérénice

Seigneur, je n’ai pas cru que, dans une journée
Qui doit avec Céſar unir ma deſtinée,
Il fût quelque mortel, qui pût impunément
Se venir à mes yeux déclarer mon amant.
Mais de mon amitié mon ſilence eſt un gage.
J’oublie, en ſa faveur, un diſcours qui m’outrage ;
Je n’en ai point troublé le cours injurieux.
Je fais plus. À regret je reçois vos adieux.
Le Ciel ſait qu’au milieu des honneurs qu’il m’envoie,
Je n’attendois que vous pour témoin de ma joie.
Avec tout l’univers j’honorois vos vertus ;
Titus vous chériſſoit, vous admiriez Titus.