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Hé! laissez-les entre eux exercer leur courroux.

Bajazet veut périr; Seigneur, songez à vous.

Qui peut de vos desseins révéler le mystère,

Sinon quelques amis engagés à se taire?

Vous verrez par sa mort le sultan adouci.

Acomat

Roxane en sa fureur peut raisonner ainsi:

Mais moi qui vois plus loin, qui par un long usage

Des maximes du trône ai fait l'apprentissage,

Qui d'emplois en emplois vieilli sous trois sultans,

Ai vu de mes pareils les malheurs éclatants,

Je sais, sans me flatter, que de sa seule audace,

Un homme tel que moi doit attendre sa grâce,

Et qu'une mort sanglante est l'unique traité

Qui reste entre l'esclave et le maître irrité.

Osmin

Fuyez donc.

Acomat

J'approuvais tantôt cette pensée.

Mon entreprise alors était moins avancée,

Mais il m'est désormais trop dur de reculer.

Par une belle chute il faut me signaler,

Et laisser un débris du moins après ma fuite,

Qui de mes ennemis retarde la poursuite.

Bajazet vit encor. Pourquoi nous étonner?

Acomat de plus loin a su le ramener.

Sauvons-le malgré lui de ce péril extrême,

Pour nous, pour nos amis, pour Roxane elle-même.

Tu vois combien son cœur, prêt à le protéger,

A retenu mon bras trop prompt à la venger.

Je connais peu l'amour; mais j'ose te répondre

Qu'il n'est pas condamné, puisqu'on le veut confondre,

Que nous avons du temps: malgré son désespoir,

Roxane l'aime encore, Osmin, et le va voir.

Osmin

Enfin que vous inspire une si noble audace?

Si Roxane l'ordonne, il faut quitter la place;