Je vous l'avais prédit, mais vous l'avez voulu.
J'ai reculé vos pleurs autant que je l'ai pu.
Belle Atalide, au nom de cette complaisance,
Daignez de la sultane éviter la présence:
Vos pleurs vous trahiraient; cachez-les à ses yeux,
Et ne prolongez point de dangereux adieux.
Atalide
Non, Seigneur. Vos bontés pour une infortunée
Ont assez disputé contre la destinée.
Il vous en coûte trop pour vouloir m'épargner:
Il faut vous rendre, il faut me quitter, et régner.
Bajazet
Vous quitter?
Atalide
Je le veux. Je me suis consultée.
De mille soins jaloux jusqu'alors agitée,
Il est vrai, je n'ai pu concevoir sans effroi
Que Bajazet pût vivre et n'être plus à moi;
Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuse
Je me représentais l'image douloureuse,
Votre mort (pardonnez aux fureurs des amants)
Ne me paraissait pas le plus grand des tourments.
Mais à mes tristes yeux votre mort préparée
Dans toute son horreur ne s'était pas montrée;
Je ne vous voyais pas ainsi que je vous vois,
Prêt à me dire adieu pour la dernière fois.
Seigneur, je sais trop bien avec quelle constance
Vous allez de la mort affronter la présence;
Je sais que votre cœur se fait quelques plaisirs
De me prouver sa foi dans ses derniers soupirs;
Mais, hélas! épargnez une âme plus timide,
Mesurez vos malheurs aux forces d'Atalide,
Et ne m'exposez point aux plus vives douleurs
Qui jamais d'une amante épuisèrent les pleurs.
Bajazet
Et que deviendrez-vous, si dès cette journée,
Je célèbre à vos yeux ce funeste hyménée?
Atalide