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Scène dernière
Créon, Attale

Créon
Ainſi donc vous fuyez un amant odieux,
Et vous-meſme, cruelle, éteignez vos beaux yeux !
Vous fermez pour jamais ces beaux yeux que j’adore,
Et pour ne me point voir, vous les fermez encore !
Quoique Hémon vous fût cher, vous courez au trépas
Bien plus pour m’éviter que pour ſuivre ſes pas.
Mais duſſiez-vous encor m’eſtre auſſi rigoureuſe,
Ma préſence aux enfers vous fût-elle odieuſe,
Dût après le trépas vivre votre courroux,
Inhumaine, je vais y deſcendre après vous.
Vous y verrez toujours l’objet de votre haine,
Et toujours mes ſoupirs vous rediront ma peine,
Ou pour vous adoucir, ou pour vous tourmenter ;
Et vous ne pourrez plus mourir pour m’éviter.
Mourons donc…

Attale & des gardes.
Ah ! Seigneur ! quelle cruelle envie…

Créon
Ah ! c’eſt m’aſſaſſiner que me ſauver la vie !
Amour, rage, tranſports, venez à mon ſecours,
Venez, & terminez mes déteſtables jours !
De ces cruels amis trompez tous les obſtacles.
Toi, juſtifie, oſ ciel, la foi de tes oracles :
Je ſuis le dernier ſang du malheureux Laïus,
Perdez-moi, dieux cruels, ou vous ſerez déçus.
Reprenez, reprenez cet empire funeſte :
Vous m’oſtez Antigone, oſtez-moi tout le reſte.
Le troſne & vos préſents excitent mon courroux ;
Un coup de foudre eſt tout ce que je veux de vous.