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Je courais pour fléchir Hémon & Polynice ;
Ils étaient déjà loin, avant que je ſortiſſe,
Ils ne m’entendaient plus & mes cris douloureux
Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.
Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille,
Et moi, je ſuis montée au haut de la muraille,
D’où le peuple étonné regardait, comme moi,
L’approche d’un combat qui le glaçait d’effroi.
À cet inſtant fatal, le dernier de nos princes,
L’honneur de noſtre ſang, l’eſpoir de nos provinces,
Ménécée, en un mot, digne frère d’Hémon,
Et trop indigne auſſi d’eſtre fils de Créon,
De l’amour du pays montrant ſon ame atteinte,
Au milieu des deux camps s’eſt avancé ſans crainte,
Et ſe faiſant ouïr des Grecs & des Thébains :
 « Arreſtez, a-t-il dit, arreſtez, inhumains ! »
Ces mots impérieux n’ont point trouvé d’obſtacle :
Les ſoldats, étonnez de ce nouveau ſpectacle,
De leur noire fureur ont ſuſpendu le cours ;
Et ce prince auſſitoſt pourſuivant ſon diſcours :
"Apprenez, a-t-il dit, l’arreſt des deſtinées,
Par qui vous allez voir vos misères bornées.
Je ſuis le dernier ſang de vos rois deſcendu,
Qui par l’ordre des dieux doit eſtre répandu.
Recevez donc ce ſang que ma main va répandre ;
Et recevez la paix où vous n’oſiez prétendre".
Il ſe tait, & ſe frappe en achevant ces mots ;
Et les Thébains, voyant expirer ce héros,
Comme ſi leur ſalut devenoit leur ſupplice,
Regardent en tremblant ce noble ſacrifice.
J’ai vu le triſte Hémon abandonner ſon rang
Pour venir embraſſer ce frère tout en ſang.
Créon, à ſon exemple, a jeté bas les armes
Et vers ce fils mourant eſt venu tout en larmes ;
Et l’un & l’autre camp, les voyant retirez,
Ont quitté le combat & ſe ſont ſéparez.
Et moi, le cœur tremblant & l’ame toute émue,
D’un ſi funeſte objet j’ai détourné la vue,