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Le ſoin de ſa grandeur eſt le ſeul qui m’anime ;
Je hais ſes ennemis, & c’eſt là tout mon crime :
Je ne m’en cache point. Mais à ce que je voi,
Chacun n’eſt pas icy criminel comme moi.

Jocaſte
Je ſuis mère, Créon, & ſi j’aime ſon frère,
La perſonne du roi ne m’en eſt pas moins chère.
De laches courtiſans peuvent bien le haïr,
Mais une mère enfin ne peut pas ſe trahir.

Antigone
Vos intéreſts icy ſont conformes aux noſtres,
Les ennemis du roi ne ſont pas tous les voſtres ;
Créon, vous eſtes père, & dans ces ennemis,
Peut-eſtre ſongez-vous que vous avez un fils.
On ſçait de quelle ardeur Hémon ſert Polynice.

Créon
Oui, je le ſais, Madame, & je luy fais juſtice ;
Je le dois, en effet, diſtinguer du commun,
Mais c’eſt pour le haïr encor plus que pas un.
Et je ſouhaiterais, dans ma juſte colère,
Que chacun le haït comme le hoit ſon père.

Antigone
Après tout ce qu’a foit la valeur de ſon bras,
Tout le monde en ce point ne vous reſſemble pas.

Créon
Je le vois bien, Madame, & c’eſt ce qui m’afflige ;
Mais je ſais bien à quoy ſa révolte m’oblige ;
Et tous ces beaux exploits qui le font admirer,
C’eſt ce qui me le foit juſtement abhorrer.
La honte ſuit toujours le parti des rebelles ;
Leurs grandes actions ſont les plus criminelles,
Ils ſignalent leur crime en ſignalant leur bras,
Et la gloire n’eſt point où les rois ne ſont pas.

Antigone
Ecoutez un peu mieux la voix de la nature.

Créon
Plus l’offenſeur m’eſt cher, plus je reſſens l’injure.