Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome1.djvu/49

Cette page n’a pas encore été corrigée



Jocaſte
L’intéreſt de l’Etat leur ſervira de loi.

Créon
L’intéreſt de l’Etat eſt de n’avoir qu’un roi,
Qui d’un ordre conſtant gouvernant ſes provinces,
Accoutume à ſes lois & le peuple & les princes.
Ce règne interrompu de deux rois différents,
En luy donnant deux rois luy donne deux tyrans.
Par un ordre, ſouvent l’un à l’autre contraire,
Un frère détruiroit ce qu’auroit foit un frère ;
Vous les verriez toujours former quelque attentat,
Et changer tous les ans la face de l’Etat.
Ce terme limité que l’on veut leur preſcrire
Accroît leur violence en bornant leur empire.
Tous deux feront gémir les peuples tour à tour,
Pareils à ces torrents qui ne durent qu’un jour :
Plus leur cours eſt borné, plus ils font de ravage,
Et d’horribles dégats ſignalent leur paſſage.

Jocaſte
On les verroit plutoſt, par de nobles projets,
Se diſputer tous deux l’amour de leurs ſujets.
Mais avouez, Créon, que toute votre peine
C’eſt de voir que la paix rend votre attente vaine,
Qu’elle aſſure à mes fils le troſne où vous tendez,
Et va rompre le piège où vous les attendez.
Comme, après leur trépas, le droit de la naiſſance
Fait tomber en vos mains la ſupreſme puiſſance,
Le ſang qui vous unit aux deux princes mes fils
Vous foit trouver en eux vos plus grands ennemis ;
Et votre ambition, qui tend à leur fortune,
Vous donne pour tous deux une haine commune.
Vous inſpirez au roi vos conſeils dangereux,
Et vous en ſervez un pour les perdre tous deux.

Créon
Je ne me repais point de pareilles chimères.
Mes reſpects pour le roi ſont ardents & ſincères,
Et mon ambition eſt de le maintenir
Au troſne où vous croyez que je veux parvenir.