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Jocaſte
Ah ciel ! quelle rigueur !
Que vous pénétrez mal dans le fond de mon cœur !
Je ne demande pas que vous quittiez l’empire :
Régnez toujours, mon fils, c’eſt ce que je déſire.
Mais ſi tant de malheurs vous touchent de pitié,
Si pour moy votre cœur garde quelque amitié,
Et ſi vous prenez ſoin de votre gloire meſme,
Aſſociez un frère à cet honneur ſupreſme.
Ce n’eſt qu’un vain éclat qu’il recevra de vous ;
Votre règne en ſera plus puiſſant & plus doux.
Les peuples, admirant cette vertu ſublime,
Voudront toujours pour prince un roi ſi magnanime,
Et cet illuſtre effort, loin d’affaiblir vos droits,
Vous rendra le plus juſte & le plus grand des rois.
Ou s’il faut que mes vœux vous trouvent inflexible,
Si la paix à ce prix vous paraît impoſſible,
Et ſi le diadème a pour vous tant d’attraits,
Au moins conſolez-moi de quelque heure de paix.
Accordez cette grace aux larmes d’une mère,
Et cependant, mon fils, j’irai voir votre frère.
La pitié dans ſon ame aura peut-eſtre lieu,
Ou du moins pour jamais j’irai luy dire adieu.
Dès ce meſme moment permettez que je ſorte :
J’irai juſqu’à ſa tente, & j’irai ſans eſcorte ;
Par mes juſtes ſoupirs j’eſpère l’émouvoir.

Étéocle
Madame, ſans ſortir vous le pouvez revoir ;
Et ſi cette entrevue a pour vous tant de charmes,
Il ne tiendra qu’à luy de ſuſpendre nos armes.
Vous pouvez dès cette heure accomplir vos ſouhaits
Et le faire venir juſque dans ce palais,
J’irai plus loin encore ; & pour faire connaître
Qu’il a tort en effect de me nommer un traître,
Et que je ne ſuis pas un tyran odieux,
Que l’on faſſe parler & le peuple & les dieux.
Si le peuple y conſent, je luy cède ma place ;
Mais qu’il ſe rende enfin, ſi le peuple le chaſſe.