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Ses yeux s’ouvroient, Pylade ; elle écoutoit Oreste,
Lui parloit, le plaignoit. Un mot eût fait le reste.

PYLADE.

Vous le croyez.

ORESTE.

Vous le croyez. Hé quoi ? ce courroux enflammé
Contre un ingrat…

PYLADE.

Contre un ingrat… Jamais il ne fut plus aimé.
Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l’auroit accordée,
Qu’un prétexte tout prêt ne l’eût pas retardée ?
M’en croirez-vous ? Lassé de ses trompeurs attraits.
Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais[1].
Quoi ? votre amour se veut charger d’une furie
Qui vous détestera, qui toute votre vie
Regrettant un hymen tout prêt à s’achever,
Voudra…

ORESTE.

Voudra… C’est pour cela que je veux l’enlever.
Tout lui riroit, Pylade ; et moi, pour mon partage,
Je n’emporterois donc qu’une inutile rage ?
J’irois loin d’elle encor tâcher de l’oubher ?
Non, non, à mes tourments je veux l’associer.
C’est trop gémir tout seul. Je suis las qu’on me plaigne :
Jt’ prétends qu’à mon tour l’inhumaine me craigne,
Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés.
Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.

PYLADE.

Voilà donc le succès qu’aura votre ambassade :
Oreste ravisseur !

ORESTE.

Oreste ravisseur ! Et qu’importe, Pylade ?

  1. Var. Au lieu de l’enlever, Seigneur, je la fuirais. (1668-73.)