Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Apprend donc à son tour à souffrir des mépris ?
Ah Dieux !

CLÉONE.

Ah Dieux ! Ah ! dissipez ces indignes[1] alarmes :
Il a trop bien senti le pouvoir de vos charmes.
Vous croyez qu’un amant vienne vous insulter ?
Il vous rapporte un cœur qu’il n’a pu vous ôter.
Mais vous ne dites point ce que vous mande un père.

HERMIONE.

Dans ses retardements, si Pyrrhus persévère,
À la mort du Troyen s’il ne veut consentir,
Mon père avec les Grecs m’ordonne de partir.

CLÉONE.

Hé bien, Madame, hé bien ! écoutez donc Oreste.
Pyrrhus a commencé, faites au moins le reste.
Pour bien faire, il faudroit que vous le prévinssiez.
Ne m’avez-vous pas dit que vous le haïssiez ?

HERMIONE.

Si je le hais, Cléone ! Il y va de ma gloire,
Après tant de bontés dont il perd la mémoire.
Lui qui me fut si cher, et qui m’a pu trahir !
Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr.

CLÉONE.

Fuyez-le donc. Madame ; et puisqu’on vous adore…

HERMIONE.

Ah ! laisse à ma fureur le temps de croître encore ;
Contre mon ennemi laisse-moi m’assurer[2] :

  1. Indignes : simplement, injustes, mal fondées.
  2. M’assurer : me fortilier, et par conséquent prendre mes sûretés.