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Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n’a pu conserver mon Hector.
A de moindres faveurs des malheureux prétendent.
Seigneur : c’est un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que loin des Grecs, et même loin de vous,
J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux[1].
Votre amour contre nous allume trop de haine :
Retournez, retournez à la fille d’Hélène.

PYRRHUS.

Et le puis-je, Madame ? Ah ! que vous me gênez[2] !
Comment lui rendre un cœur que vous me retenez ?
Je sais que de mes vœux on lui promit l’empire ;
Je sais que pour régner elle vint dans l’Épire ;

  1. Andromaque, dans Sénèque :
    Eritne tempus illud ac Felix dies
    Quo, Troici defensor et vindex soli,
    Recidiva ponas Pergama ?… (468-70.)

    « Viendra-t-il jamais le temps, l’heureux temps, où, vainqueur et défenseur de la patrie, tu relèveras, rétabliras Pergame ? »
    Sed mei fati memor,
    Tam magna timeo vota : quod captis sat est,
    Vivamus. Heu me, quis locus fidus meo
    Erit timori ? Quave te sede occulam ? (472-75.)

    « Mais je songe à ma destinée, et ces souhaits ambitieux me font peur ; vivons, c’est assez pour des vaincus. Hélas ! quel lieu sera assez sûr pour mes craintes ? Où se cacher ? »

    Le vers 336 est un écho du vers virgilien, quand Hector apparaît à Énée :
    Si Pergama dextra
    Defendi possent, etiam hac defensa fuissent. (En. II, 291-2.)

    Si un bras humain eût pu défendre Pergame, mon bras l’eût défendue. »

  2. Gênez : torturez ; le sens du mot est encore très fort à cette date. Au propre, la gêne, c’est la question.