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Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie[1] :
De mes inimitiés le cours est achevé ;
L’Épire sauvera ce que Troie a sauvé.

ORESTE.

Seigneur, vous savez trop avec quel artifice
Un faux Astyanax fut offert au supplice
Où le seul fils d’Hector devoit être conduit.
Ce n’est pas les Troyens, c’est Hector qu’on poursuit.
Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père ;
Il a par trop de sang acheté leur colère[2].
Ce n’est que dans le sien qu’elle peut expirer ;
Et jusque dans l’Épire il les peut attirer.
Prévenez-les.

PYRRHUS.

Prévenez-les. Non, non. J’y consens avec joie :
Qu’ils cherchent dans l’Épire une seconde Troie ;
Qu’ils confondent leur haine, et ne distinguent plus
Le sang qui les fit vaincre et celui des vaincus.
Aussi bien ce n’est pas la première injustice
Dont la Grèce d’Achille a payé le service.
Hector en profita, Seigneur ; et quelque jour[3]
Son fils en pourroit bien profiter à son tour.

ORESTE.

Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle ?

PYRRHUS.

Et je n’ai donc vaincu que pour dépendre d’elle ?

  1. Sénèque : … Quidquid eversæ potest
    Superesse Trojæ, maneat. Exactum satis
    Pœnarum et ultra est. (284-85.)

    « Que le reste, quel qu’il soit, de Troie détruite, subsiste donc. Nous avons assez et trop excité de vengeances. »

  2. Subligny (Préface) trouvait acheté impropre, et préférait attiré.
  3. Allusion à la colère d’Achille qui retarda la mort d’Hector.