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De mes feux mal éteints je reconnus la trace[1] ;
Je sentis que ma haine alloit finir son cours,
Ou plutôt je sentis que je l’aimois toujours.
Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage.
90On m’envoie à Pyrrhus : j’entreprends ce voyage.
Je viens voir si l’on peut arracher de ses bras
Cet enfant dont la vie alarme tant d’États :
Heureux si je pouvois, dans l’ardeur qui me presse,
Au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse !
95Car enfin n’attends pas que mes feux redoublés
Des périls les plus grands puissent être troublés.
Puisqu’après tant d’efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne.
J’aime : je viens chercher Hermione en ces lieux,
100La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux.
Toi qui connois Pyrrhus, que penses-tu qu’il fasse ?
Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe.
Mon Hermione encor le tient-elle asservi ?
Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu’il m’a ravi ?

PYLADE.

105Je vous abuserois si j’osois vous promettre
Qu’entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre ;
Non que de sa conquête il paroisse flatté.
Pour la veuve d’Hector ses feux ont éclaté :
Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine
110N’a payé jusqu’ici son amour que de haine ;
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter.
De son fils, qu’il lui cache, il menace la tête,
Et fait couler des pleurs, qu’aussitôt il arrête.
115Hermione elle-même a vu plus de cent fois
Cet amant irrité revenir sous ses lois,

  1. Agnosco veteris vestigia flammæ (Énéide, IV ; 23).
    « Je reconnais les traces d’une ancienne flamme. »