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PYLADE.

Vous l’abhorriez ; enfin vous ne m’en parliez plus.
Vous me trompiez, Seigneur.

ORESTE.

Vous me trompiez, Seigneur.Je me trompois moi-même.
Ami, n’accable point un malheureux qui t’aime.
T’ai-je jamais caché mon cœur et mes desirs ?
40Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs.
Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille[1]
En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille,
Tu vis mon désespoir ; et tu m’as vu depuis
Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis[2].
45Je te vis à regret, en cet état funeste,
Prêt à suivre partout le déplorable[3] Oreste,
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.
Mais quand je me souvins que parmi tant d’alarmes
50Hermione à Pyrrhus prodiguoit tous ses charmes,
Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris
Voulut en l’oubliant punir[4] tous ses mépris.
Je fis croire et je crus ma victoire certaine ;
Je pris tous mes transports pour des transports de haine ;
55Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits[5],
Je défiois ses yeux de me troubler jamais.

    cris, des soupirs des gémissements. Nous ne le disons plus que des sons inarticulés.

  1. Dans Euripide, Andromaque (948 et suiv.), Oreste accuse Ménélas plus formellement de lui avoir manqué de parole après lui avoir promis Hermione. Racine laisse Hermione plus libre.
  2. Ennuis, peines morales violentes ; mot très commun chez Racine.
  3. Déplorable, appliqué aux personnes, n’était pas du langage commun.
  4. Punir : Racine avait écrit venger. Subligny s’en moqua comme d’un contresens. C’était un latinisme prétentieux. Racine le sentit et corrigea.
  5. Vers critiqué faussement par Subligny : on rabaisse l’orgueil et non des attraits. (Préface.)