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rendu Andromaque moins étourdie, et pour faire un bel endroit de ce qui est une faute de jugement, dans la résolution qu’elle prend de se tuer, avant que le mariage soit consommé, il auroit tiré Astianax des mains de Pyrrhus, afin qu’elle ne fust pas en danger de perdre le fruit de sa mort, et qu’on ne l’accusast point d’estre trop crédule. Il donne auroit conservé le caractère violent et farouche de Pyrrhus, sans qu’il cessast d’estre honneste homme, parce qu’on peut estre honneste homme dans toutes sortes de tempéramens, et donnant moins d’horreur qu’il ne donne des foiblesses de ce prince qui sont de pures laschetés, il auroit empesché le spectateur de désirer qu’Hermione en fust vengée, au lieu de le craindre pour luy. Il auroit ménagé autrement la passion dllermione, il auroit meslé un point d’honneur à son amour, afin que ce fust luy qui demandast vengeance plutost qu’une passion brutale ; et pour donner lieu à cette princesse de reprocher à Oreste la mort de Pyrrhus avec quelque vraisemblance, après l’avoir obligé à le tuer, il auroit fait que Pyrrhus luy auroit témoigné du regret d’estre infidèle, au lieu de luy insulter ; qu’Oreste l’auroit prise au mot pour se défaire de son rival, au lieu que c’est elle qui le presse à toute heure de l’assassiner ; et pour prétexter la conspiration d’Oreste, il n’auroit pas manqué de se servir utilement de ce qui fut autrefois la cause de la mort de Pyrrhus, en joignant l’intérest des dieux à celuy de sa jalousie. Enfin il auroit modéré l’emportement d’Hermione, ou du moins il l’auroit rendue sensible pour quelque temps au plaisir d’estre vengée. Car il n’est pas possible qu’après avoir été outragée jusqu’au bout, qu’après n’avoir pu obtenir seulement que Pyrrhus dissimulast à ses yeux le mépris qu’il faisoit d’elle ; qu’après qu’il l’a congédiée, sans pitié, sans douleur du moins étudiée, et qu’elle a perdu toute espérance de le voir revenir à elle, puisqu’il a épousé sa rivale ; il n’est, dis-je, pas possible qu’en cet état elle ne gouste un peu sa vengeance. Pour conclusion, monsieur Corneille auroit tellement préparé toutes choses pour l’action où Pyrrhus se défait de sa garde, qu’elle eust été une marque d’intrépidité, au lieu qu’il n’y a personne qui ne la prenne pour une bévue insupportable. Voilà ce que je crois que monsieur Corneille auroit fait, et peut-estre qu’il auroit encore fait mieux. Le temps amène toutes choses, et comme l’auteur d’Andromaque est jeune aussi bien que moy, j’espère qu’un jour je n’admireray pas moins la conduite de ses ouvrages que j’admire aujourd’huy la noble impétuosité de son génie.


Après cette dernière page de la Préface où Subligny ramasse toutes les critiques qu’il a disséminées dans sa pièce ; je n’ai pas à en développer l’analyse. L’intrigue contient une espèce de parodie : Eraste est entre Hortense et la vicomtesse à peu près comme Pyrrhus est entre Hermione et Andromaque ; Hortense accueille Lysandre comme Hermione Oreste, et lui offre de l’en-