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dant, à tout prendre, Racine doit avoir plus de réputation qu’aucun autre, après Corneille[1] »

Après Corneille : c’est tout ce que voulait Saint-Evremond, et ses restrictions entortillées n’étaient que pour amener ce dernier mot. Mais on n’a pas assez remarqué que Saint-Evremond immolait délibérément Quinault, maître de la scène depuis dix ans, et peintre de l’amour à la mode : faisons honneur au goût de Saint-Évremond d’avoir élevé Racine au-dessus de Quinault plutôt que de nous étonner qu’il ait voulu le maintenir au-dessous de Corneille, ce sera justice.

Andromaque eut des critiques plus sévères que Saint-Evremond. Une épi gramme virulente de Racine nous montre que des courtisans, le duc de Créqui, le comte d’Olonne, cherchaient chicane à la tragédie. On a prétendu que le prince de Condé estimait Pyrrhus trop violent, trop peu soumis à sa maîtresse : un amant bien élevé devait mieux complaire à Andromaque. C’est l’objection à laquelle Racine répond dans sa préface. D’autres peut-être, parmi lesquels Boileau[2], trouvaient que Pyrrhus était un peu trop un « héros à la Scudéry » : l’objection cependant ne dut point être fort répandue, car Racine ne jugea pas à propos de l’examiner.

Nous pouvons nous faire une idée de ce que l’on trouva à dire contre Racine par la Folle querelle, comédie de Subligny, à laquelle Molière prêta son théâtre. On en trouvera plus loin l’analyse.

Racine a indiqué lui-même les sources de son sujet. Il a dit pourquoi il a laissé l’Andromaque d’Euripide, dont l’action était trop attachée aux mœurs d’un âge primitif et barbare pour être comprise au xviie siècle. Virgile lui a donné le dessin de son action et les quatre personnages principaux. Homère l’a aidé à préciser la physionomie d’ Andromaque. Ce sont là ses guides : il a pu en outre devoir quelques idées de détail à d’autres, à Euripide, à Sénèque ; il ne leur a rien pris d’important.

Je ne crois pas qu’il ait eu besoin de penser au Pertharite de Corneille pour inventer et disposer son sujet, pas plus qu’à la Diane de Montemayor, dont on trouvera plus loin un extrait.

  1. Saint-Évremond, Œuvres mêlées, t. I, p. 286 et 520.
  2. D’après le Bolæana de Monchesnay.