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Racine. On parle d’un mémoire sur la misère du peuple que le poète, dit-on, remit à Mme de Maintenon ; celle-ci le laissa voir au roi et en nomma l’auteur ; Racine, disgracié, en conçut un chagrin qui abrégea ses jours.

En réalité, le mémoire que Racine fit remettre à Louis XIV, pour se faire décharger d’une taxe extraordinaire imposée aux secrétaires du roi (il en avait acheté le titre en 1696), et où il n’était pas question de la misère du peuple, ne fut pour rien dans le mécontentement du roi, ou n’en fut que l’occasion. Tout le crime du poète fut d’être janséniste. Voilà ce qui déplut à Louis XIV. Voilà ce que sentit Racine : voilà ce dont il se justifia dans une longue lettre à Mme de Maintenon.

Sa disgrâce ne fut jamais éclatante. Jusqu’à la fin de sa vie, il fut des voyages de Marly et de Fontainebleau. Mais il sentit que le roi s’était refroidi à son égard. Louis XIV auparavant aimait à entendre Racine lire ou causer : un jour, en 1696, il l’avait fait venir dans sa chambre pendant une maladie, et Racine lui avait lu les Vies de Plutarque en rajeunissant le français d’Amyot. Souvent, quand il était chez Mme de Maintenon, il le faisait appeler pour l’entretenir et prenait plaisir à sa conversation. Sans doute le roi cessa de donner à Racine ces marques de confiance intimes et particulières. Sans que la chose arrivât au public, le poète se sentit exclu de la faveur du roi.

Il ne mourut pas de cette disgrâce secrète : il vécut encore plus d’un an. Mais il en souffrit cruellement, malgré toute sa t religion.

Il mourut le 21 avril 1699, d’une maladie hépatique, après de cruelles douleurs, avec beaucoup de piété et de courage. Sa femme et ses deux fils étaient auprès de lui, avec Valincour et avec Boileau, à qui Racine adressa ces paroles : « C’est un bonheur pour moi de mourir avant vous ».

Il avait demandé à être inhumé à Port-Royal des Champs, au pied de la fosse de M. Hamon, son ancien maître. « Cela ne fit pas sa cour, dit Saint-Simon, mais un mort ne s’en soucie guère[1]. »

  1. Après la destruction de Port-Royal en 1709, les restes du poète furent transportés à Saint-Étienne du Mont, avec ceux de MM. Le Maistre et de Saci.