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par Boileau, nous l’ignorons. Leur œuvre inachevée périt en 1726 dans un incendie. Sans doute c’aurait été une pièce d’éloquence remarquable, mais une histoire médiocre. Outre qu’il était difficile de voir et d’écrire la vérité sur Louis XIV de son vivant, on n’avait pas en France au xviie siècle une idée fort juste des qualités et des devoirs de l’historien : quelques bénédictins savaient seuls ce qu’il fallait de science, de critique et de détachement pour en bien faire le métier.

Pour raconter la vie du roi, il fallait suivre le roi. L’historiographe se fit courtisan : ce rôle allait bien à Racine. Sa physionomie noble, sa parole élégante, son esprit délicat, sa finesse de tact le firent réussir : il plut au roi, à Mme de Montespan, à Mme de Maintenon. « Rien du poète dans son commerce, dit Saint-Simon, et tout de l’honnête homme et de l’homme modeste. »

Ces succès firent des jaloux, et l’on ne manqua aucune occasion de s’égayer sur le poète historien et courtisan, et sur son collaborateur. Ils suivirent Louis XIV aux sièges de Gand et d’Ypres en 1678 : et leur ignorance des choses militaires, leur gaucherie à cheval, leur peu d’inclination à se faire tuer héroïquement, donnèrent lieu à toute sorte d’épigrammes et d’anecdotes vraies ou fausses, dont Mme de Sévigné a recueilli une partie dans ses lettres, tout indignée qu’on eût refusé à son cousin, à un Rabutin, la tâche dont on avait chargé deux poètes.

Racine suivit encore Louis XIV au voyage d’Alsace, avec Boileau, en 1683. Il alla seul à Luxembourg, en 1687, et aux dernières campagnes du roi, en 1691, 1692 et 1693. Ils avaient pris tous les deux leur rôle au sérieux, et en 1686 ils lisaient leur travail au roi, qui en paraissait fort content. Les libéralités du roi semblent avoir été réglées sur l’activité des deux historiens, et leur accroissement porte témoignage du progrès de l’œuvre, comme leur inégalité en 1692 montre que, par la mauvaise santé de Boileau, presque toute la tâche pesait alors sur Racine.

Au milieu de la cour et dans la faveur du roi. Racine resta publiquement attaché à Port-Royal et lui donna de nombreuses marques d’un entier dévouement. Il visitait souvent Nicole dans la petite maison qui recevait aussi Boileau et Santeul. Il accourut l’assister dans sa dernière maladie. Il resta en correspondance avec Arnauld exilé ; il lui envoyait ses écrits. Quand Arnauld fut mort, il fut le seul des amis du dehors qui assista au service