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théâtre. Quelles raisons l’y déterminèrent ? Sans doute le dégoût que lui causa la cabale dirigée par la duchesse deRouillon, le duc de Nevers et Mme Deshoulières, qui réussirent pendant quelques jours à maintenir la Phèdre et Hippolyte de Pradon contre la pièce de Racine : ce chagrin, s’il rend compte de la résolution du poète, n’explique point qu’il y ait persisté. Mais Racine se réconcilia avec Port-Royal. La foi de sa jeunesse se réveillait dans son cœur. Boileau avait porté Phèdre à Arnauld, qui l’avait trouvée parfaitement belle, et toute chrétienne d’inspiration. Le poète s’était jeté aux genoux de son ancien maître. La mère Agnès de Sainte-Thècle avait achevé sa conversion, et Port-Royal avait ressaisi son disciple longtemps égaré. Il prit en horreur sa vie passée, déserta le monde, et voulut se faire chartreux. Son confesseur lui conseilla de se marier. Il épousa, le 1er juin 1677, Catherine de Romanet, femme pieuse et d’esprit médiocre, avec laquelle il essaya d’oublier la poésie dans les soins de la famille et dans la pratique des vertus domestiques. Il en eut cinq filles, dont deux se firent religieuses, et deux fils, dont l’ainé, Jean-Baptiste, fut quelque temps dans les ambassades, et vécut la plupart du temps retiré dans la piété et dans l’étude ; le second fut Louis Racine, le pieux et doux janséniste, dont les vers sont un pâle et froid reflet de la poésie paternelle. L’éducation de ces sept enfants fut un des grands soucis de Racine, et ses lettres montrent quelle tendresse toujours active, quelle attention toujours inquiète, quelle scrupuleuse piété il y apporta.

En même temps le roi donna à Racine un empioi qui l’aida à persévérer dans la voie nouvelle qu’il avait adoptée. Je ne parle pas de ses fonctions de trésorier de France à la généralité de Moulins, qui ne lui donnèrent jamais grand mal. Mais dès le mois de mai 1677 le roi avait demandé à Racine et à Boileau d’écrire son histoire : il leur commanda de tout quitter pour se consacrer à sa gloire. « Mon père, dit Louis Racine, toujours attentif à son salut, regarda le choix de Sa Majesté comme une grâce de Dieu, qui lui procuroit cette importante occupation pour le détacher entièrement de la poésie. »

Laissant donc inachevées une Iphigénie en Tauride, dont il avait dressé le plan, et une Alceste, qui était en partie écrite, Racine ne fut plus occupé que de ses devoirs d’historiographe. Ce qu’aurait été le règne de Louis le Grand écrit par Racine et