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jusqu’à les savoir par cœur, il ne se lassait point aussi des Amours de Théagène et de Chariclée.

Les pensées profanes germaient dans ce jeune cœur. Comment en eùt-il été autrement ? Par une heureuse inconséquence, les solitaires avaient le culte de ces lettres païennes, où ils voyaient une dangereuse séduction et dont l’amour était à leurs yeux une coupable concupiscence. Détachés de tout le reste, ils ne l’étaient point du beau, et le plus pieux avait dans son cœur une idole, quelque chef-d’œuvre de l’antiquité grecque ou latine. On nourrissait les élèves de Virgile et de Térence, d’Homère et de Sophocle ; le goût, la science, l’enthousiasme de Lancelot et de Le Maistre tournaient contre leur foi, et, pour s’être trop remplis de leurs leçons, leurs disciples étaient prêts à quitter les austères voies où ils voulaient les guider. Ils allaient leui* faire honneur dans le monde, plus d’honneur parfois et un autre honneur qu’ils n’eussent souhaité ; ce fut le cas de Racine.

Au sortir de Port-Royal, il fit sa philosophie au collège d’Harcourt (1658) ; puis il alla loger à l’hôtel de Luynes, chez son cousin Mcolas Yitart, intendant du duc. Cet excellent homme, peu dévot et sagement janséniste, laissa son jeune parent vivre tout à son gré. Racine en profita pour voir le monde, les beaux esprits et les poètes ; il se haavec l’abbé Le Vasseur, abbé galant et mondain, d’un libre et joyeux esprit, et avec La Fontaine, qui, plus âgé de dix-huit ans, débutait encore dans la carrière poétique.

Il faisait beaucoup de petits vers, sonnets, madrigaux ; et l’on commençait à dire dans le cercle de ses amis que Racine avait bien de l’esprit. Le mariage du roi lui donna l’occasion d’étendre sa réputation. Il le célébra dans une ode, la Nymphe de la Seine, qui passa pour le meilleur morceau que la circonstance eût inspiré (1660). M. Perrault et M. Chapelain, qui étaient alors de fort grands personnages et dont la confiance de Colbert faisait les premiers commis du département des belles-lettres, — M. Perrault et M. Chapelain daignèrent approuver l’œuvre du jeune poète, y trouvèrent d’heureuses promesses, et indiquèrent quelques corrections, qui furent faites avec empressement. Même l’excellent Cliapelain voulut qu’on lui amenât l’auteur ; et il lui fit donner par le roi une gratification de cent louis.

Ce brillant début et ces encouragements flatteurs n’emprisonnèrent point le talent de Racine dans la poésie lyrique. Il continua