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HERMIONE.

Non, non, il les verra triompher sans obstacle :
Il se gardera bien de troubler ce spectacle.
Je sais de quels remords son courage est atteint :
Le lâche craint la mort, et c’est tout ce qu’il craint.
Quoi ? sans qu’elle employât une seule prière,
Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière ?
Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent périr vingt rois qu’ils ne connoissoient pas ?
Et moi, je ne prétends[1] que la mort d’un parjure.
Et je charge un amant du soin de mon injure ;
Il peut me conquérir à ce prix sans danger ;
Je me livre moi-même, et ne puis me venger ?
Allons : c’est à moi seule à me rendre justice.
Que de cris de douleur le temple retentisse ;
De leur hymen fatal troublons l’événement,
Et qu’ils ne soient unis, s’il se peut, qu’un moment.
Je ne choisirai point dans ce désordre extrême :
Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
Je mourrai ; mais au moins ma mort me vengera.
Je ne mourrai pas seule, et quelqu’un me suivra.



Scène III

ORESTE, HERMIONE, CLÉONE.
ORESTE.

Madame, c’en est fait, et vous êtes servie[2] :
Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie.

  1. Prétendre, activement, très commun au xviie siècle dans le sens de avoir une prétention à, réclamer comme dû au mérite.
  2. À la place de ces deux vers, l’éd. de 1668 donnait un long morceau :