Pleurante après son char vous voulez qu’on me voie[1] ;
Mais, Seigneur, en un jour ce seroit trop de joie ;
Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,
Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez ?
Du vieux père d’Hector la valeur abattue
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
Cherche un reste de sang que l’âge avoit glacé[2] ;
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée ;
De votre propre main Polyxène égorgée
Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous :
Que peut-on refuser à ces généreux coups ?
Madame, je sais trop à quels excès de rage
La vengeance d’Hélène emporta mon courage :
Je puis me plaindre à vous du sang que j’ai versé ;
Mais enfin je consens d’oublier le passé.
Je rends grâces au ciel que votre indifférence
De mes heureux soupirs m’apprenne l’innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
Devoit mieux vous connoître et mieux s’examiner.
Mes remords vous faisoient une injure mortelle ;
Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.
- ↑ Var.
Votre grand cœur sans doute attend après mes pleurs,
Pour aller dans ses bras jouir de mes douleurs.
Chargé de tant d’honneur, il veut qu’on le renvoie.
(Éd. 1668-76.) - ↑ Cf. plus haut V. 995-6, et les renvois à Virgile. Dans Sénèque (Tr., 108-111), Agamemnon reproche aussi ce meurtre à Pyrrhus :
… Haud equidem nego
Hoc esse Pyrrhi maximum in bello decus,
Sævo peremptus ense quod Priamus jacet,
Supplex paternus…
« Je t’accorde, le grand exploit de guerre de Pyrrhus, c’est d’avoir, d’une impitoyable épée, abattu Priam, le suppléant de son père. »