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Scène IV

HERMIONE, CLÉONE.
CLÉONE.

Vous vous perdez, Madame ; et vous devez songer…

HERMIONE.

Que je me perde ou non, je songe à me venger.
Je ne sais même encor, quoi qu’il m’ait pu promettre,
Sur d’autres que sur moi si je dois m’en remettre.
Pyrrhus n’est pas coupable à ses yeux comme aux miens,
Et je tiendrois mes coups bien plus sûrs que les siens.
Quel plaisir de venger moi-même mon injure[1].
De retirer mon bras teint du sang du parjure.
Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands,
De cacher ma rivale à ses regards mourants !
Ah ! si du moins Oreste, en punissant son crime,
Lui laissoit le regret de mourir ma victime !
Va le trouver : dis-lui qu’il apprenne à l’ingrat
Qu’on l’immole à ma haine, et non pas à l’État.
Chère Cléone, cours. Ma vengeance est perdue
S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue[2].

CLÉONE.

Je vous obéirai. Mais qu’est-ce que je voi ?
Ô Dieux ! Qui l’auroit cru. Madame ? C’est le Roi !

HERMIONE.

Ah ! cours après Oreste ; et dis-lui, ma Cléone, Qu’il n’entreprenne rien sans revoir Hermione. </poem>

  1. Injure : sens latin, très ordinaire alors.
  2. Sentiment analogue à celui d’Émilie (Cinna, I, 2, v. 101-104).