Page:Racine - Phèdre et Hippolyte, C. Barbin, 1677.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
& HIPPOLYTE.
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Falloit-il approcher de tes bords dangereux ?
PHEDRE.
Mon mal vient de plus loin. A peine au Fils d’Egée,
Sous les loix de l’Hymen je m’eſtois engagée,
Mon repos, mon bon heur ſembloit eſtre affermi,
Athenes me montra mon ſuperbe Ennemi.
Je le vis, je rougis, je palis à ſa veuë.
Un trouble s’éleva dans mon ame eſperduë.
Mes yeux ne voyoient plus, je ne pouvois parler,
Je ſentis tout mon corps & tranſir, & brûler.
Je reconnus Venus, & ſes feux redoutables,
D’un ſang qu’elle pourſuit tourmens inévitables.
Par des vœux aſſidus je crus les détourner,
Je luy bâtis un Temple, & pris ſoin de l’orner.
De victimes moy meſme à toute heure entourée,
Je cherchois dans leurs flancs ma raiſon égarée.
D’un incurable amour remedes impuiſſans !
En vain ſur les Autels ma main brûloit l’encens.
Quand ma bouche imploroit le nom de la Déeſſe,
J’adorois Hippolyte ; & le voyant ſans ceſſe,
Meſme au pié des Autels que je faiſois fumer,
J’offrois tout à ce Dieu que je n’oſois nommer.
Je l’évitois partout. O comble de miſere !
Mes yeux le retrouvoient dans les traits de ſon Pere.
Contre moi-meſme enfin j’oſay me revolter.
J’excitay mon courage à le perſecuter.
Pour bannir l’Ennemy dont j’eſtois idolatre,
J’affectay les chagrins d’une injuſte Maraſtre.
Je preſſay ſon exil, & mes cris éternels
L’arracherent du ſein, & des bras paternels.
Je reſpirois, Oenone. Et depuis ſon abſence
Mes jours moins agitez couloient dans l’innocence.