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Mon cœur, je l’avoüray, luy pardonne en ſecret,
Et luy laiſſe le reſte avec moins de regret.
Quoy je ne ſeray plus ſeparé de vos charmes ?
Quoy même en ce momẽt je puis voir ſans allarmes
Ces yeux, que n’ont émus ny ſoûpirs, ny terreur,
Qui m’ont ſacrifié l’Empire & l’Empereur ?
Ah Madame ! Mais quoy ? Quelle nouvelle crainte
Tient parmy mes tranſports voſtre joye en contrainte ?
D’où vient qu’en m’écoutant, vos yeux, vos triſtes yeux
Avec de longs regards ſe tournent vers les Cieux ?
Qu’eſt-ce que vous craignez ?

JUNIE.
Qu’eſt-ce que vous craignez ? Je l’ignore moy-même.

Mais je crains.

BRITANNICUS.
Mais je crains. Vous m’aimez ?
JUNIE.
Mais je crains. Vous m’aimez ? Helas, ſi je vous aime !
BRITANNICUS.
Neron ne trouble plus noſtre felicité.
JUNIE.
Mais me répondez-vous de ſa ſincerité ?
BRITANNICUS.
Quoy vous le ſoupçonnez d’une haine couverte ?
JUNIE.
Neron m’aimoit tantoſt, il juroit voſtre perte.

Il me fuit, il vous cherche. Un ſi grand changement
Peut-il eſtre, Seigneur, l’ouvrage d’un moment ?

BRITANNICUS.
Cet ouvrage, Madame, eſt un coup d’Agrippine.

Elle a crû que ma perte entraînoit ſa ruine.