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Sans doute, en me voyant, une pudeur ſecrete
Ne vous laiſſe gouſter qu’une joye inquiete.
Hé bien il faut partir.

JUNIE.
Hé bien il faut partir. Seigneur, ſans m’imputer…
BRITANNICUS.
Ah ! vous deviez du moins plus long-temps diſputer.

Je ne murmure point qu’une amitié commune
Se range du party que flatte la fortune,
Que l’éclat d’un Empire ait pû vous ébloüir ;
Qu’aux dépens de ma Sœur vous en vouliez joüir.
Mais que de ces grandeurs cõme une autre occupée
Vous m’en ayez paru ſi long-temps détrompée ;
Non, je l’avouë encor, mon cœur deſeſperé
Contre ce ſeul mal-heur n’étoit point preparé.
J’ay veu ſur ma ruine élever l’injuſtice.
De mes Perſecuteurs j’ay veu le Ciel complice.
Tãt d’horreurs n’avoiẽt point épuiſé ſon courroux,
Madame. Il me reſtoit d’eſtre oublié de vous.

JUNIE.
Dans un temps plus heureux ma juſte impatience

Vous feroit repentir de voſtre défiance.
Mais Neron vous menaſſe. En ce preſſant danger,
Seigneur, j’ay d’autres ſoins que de vous affliger.
Allez, raſſurez-vous, & ceſſez de vous plaindre,
Neron nous écoutait, & m’ordonnoit de feindre.

BRITANNICUS.
Quoy le cruel ?...
JUNIE.
Quoy le cruel ?... Témoin de tout noſtre entretien

D’un viſage ſevere examinoit le mien,
Preſt à faire ſur vous éclater la vangeance
D’un geſte, confident de noſtre intelligence.