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Britannicus eſt ſeul. Quelque ennuy qui le preſſe
Il ne voit dans ſon ſort que moy qui s’intereſſe,
Et n’a pour tout plaiſir, Seigneur, que quelques pleurs
Qui luy font quelquefois oublier ſes malheurs.

NERON.
Et ce ſont ces plaiſirs, & ces pleurs que j’envie,

Que tout autre que luy me payroit de ſa vie.
Mais je garde à ce Prince un traitement plus doux.
Madame, il va bien-toſt paroiſtre devant vous.

JUNIE.
Ah, Seigneur, vos vertus m’ont toûjours raſſurée.
NERON.
Je pouvois de ces lieux luy défendre l’entrée.

Mais, Madame, je veux prevenir le danger,
Où ſon reſſentiment le pourroit engager.
Je ne veux point le perdre. Il vaut mieux que luy-meſme
Entende ſon Arreſt de la bouche qu’il aime.
Si ſes jours vous ſont chers, éloignez-le de vous
Sans qu’il ait aucun lieu de me croire jaloux.
De ſon banniſſement prenez ſur vous l’offenſe,
Et ſoit par vos diſcours, ſoit par voſtre ſilence,
Du moins par vos froideurs, faites luy concevoir
Qu’il doit porter ailleurs ſes vœux & ſon eſpoir.

JUNIE.
Moy ! Que je luy prononce un Arreſt ſi ſevere.

Ma bouche mille fois luy jura le contraire.
Quand meſme juſques-là je pourrois me trahir,
Mes yeux luy défendront, Seigneur, de m’obeyr.

NERON.
Caché prés de ces lieux je vous verray, Madame.

Rẽfermez voſtre amour dans le fond de voſtre ame.
Vous n’aurez point pour moy de langages ſecrets.
J’entendray des regards que vous croirez muets.