Page:Racine - Britannicus 1670.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

On l’écoute pourtant, & même avec autant d’attention qu’aucune fin de Tragedie. Pour moy j’ay toûjours compris que la Tragedie eſtant l’imitation d’une action complete, où pluſieurs perſonnes concourent, cette action n’eſt point finie que l’on ne ſçache en quelle ſituation elle laiſſe ces mêmes perſonnes. C’eſt ainſi que Sophocle en uſe preſque par tout. C’eſt ainſi que dans l’Antigone il employe autant de vers à repreſenter la fureur d’Hemon & la punition de Creon apres la mort de cette Princeſſe, que j’en ay employez aux imprecations d’Agrippine, à la retraitte de Junie, à la punition de Narciſſe, & au deſeſpoir de Neron, apres la mort de Britannicus.

Que faudroit-il faire pour contenter des Juges ſi difficiles ? La choſe ſeroit aiſée pour peu qu’on vouluſt trahir le bon ſens. Il ne faudroit que s’écarter du naturel pour ſe jetter dans l’extraordinaire. Au lieu d’une action ſimple, chargée de peu de matiere, telle que doit être une action qui ſe paſſe en un ſeul jour, & qui s’avancant par degrez vers ſa fin, n’eſt ſoûtenuë que par les intereſts, les ſentimens, & les paſſions des Perſonnages, il faudroit remplir cette meſme action de quantité d’incidens qui ne ſe pourroient paſſer qu’en un mois, d’un grand nombre de jeux de theatre d’autant plus