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TRAGEDIE

Mais parmy ces périls, où ie cours pour vous plaire,
Me refuſerez-vous vn regard moins ſeuere ?
Haï de tous les Grecs, preſſé de tous coſtez,
Me faudra-t-il combattre encor vos cruautez ?
Ie vous offre mon Bras. Puis-je eſperer encore
Que vous accepterez vn Cœur qui vous adore ?
En combattant pour vous, me ſera-t’il permis
De ne vous point conter parmy mes Ennemis ?

ANDROMAQVE.

Seigneur, que faites-vous, & que dira la Gréce ?
Faut-il qu’vn ſi grand Cœur montre tant de foibleſſe ?
Voulez-vous qu’vn deſſein ſi beau, ſi généreux,
Paſſe pour le tranſport d’vn Eſprit amoureux ?
Captiue, toûjours triſte, importune à moy-méme,
Pouuez-vous ſouhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Que feriez-vous, helas ! d’vn Cœur infortuné
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamné ?
Non, non, d’vn Ennemy reſpecter la Miſere,
Sauuer des Malheureux, rendre vn Fils à ſa Mere,
De cent Peuples pour luy combattre la rigueur,
Sans me faire payer ſon ſalut de mon Cœur,
Malgré moy, s’il le faut, luy donner vn azile,
Seigneur, voilà des ſoins dignes du Fils d’Achille.

PYRRHVS.

Hé quoy ? Voſtre courroux n’a-t’il pas eû ſon cours ?
Peut-on haïr ſans ceſſe ? Et punit-on toûjours ?
I’ay fait des Malheureux, ſans doute, & la Phrygie
Cent fois de voſtre ſang a veu ma main rougie.
Mais que vos yeux ſur moy ſe ſont bien exercez !
Qu’ils m’ont vendu bien cher les pleurs qu’ils ont verſez !