rel. Et tous les Heros ne ſont pas faits pour eſtre des Celadons.
Quoy qu’il en ſoit, le public m’a eſté trop fauorable pour m’embarraſſer du chagrin particulier de deux ou trois perſonnes qui voudroient qu’on reformaſt tous les Heros de l’Antiquité pour en faire des Heros parfaits. Je trouue leur intention fort bonne, de vouloir qu’on ne mette ſur la Scene que des hommes impeccables. Mais je les prie de ſe ſouuenir que ce n’est pas à moi de changer les regles du Theatre. Horace nous recommande de dépeindre Achille, farouche, inexorable, violent, tel qu’il eſtoit, & tel qu’on dépeint ſon fils. Et Ariſtote, bien éloigné de nous demander des Heros parfaits, veut au contraire que les Perſonnages tragiques, c’eſt à dire ceux dont le mal-heur fait la cataſtrophe de la Tragedie, ne ſoient ny tout à fait bons, ny tout à fait méchants. Il ne veut pas qu’ils ſoient extremément bons, parce que la punition d’vn homme de bien exciteroit plûtoſt l’indignation, que la pitié du ſpectateur ; ny qu’ils ſoient méchans auec excès, parce qu’on n’a point pitié d’un ſcelerat. Il faut donc qu’ils ayent vne bonté mediocre, c’eſt à dire, vne vertu capable de foibleſſe, & qu’ils tombent dans le mal-heur par quelque faute qui les faſſe plaindre ſans les faire déteſter.