Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LES FRERES ENNEMIS.


IOCASTE.

Mais s’il eſt vray, mon Fils, que ce Peuple vous craigne,
Et que tous les Thebains redoutent voſtre regne,
Pourquoy par tant de ſang cherchez-vous à regner
Sur ce Peuple endurci que rien ne peut gagner ?

POLINICE.

Eſt-ce au Peuple, Madame, à ſe choiſir un Maiſtre ?
Si-toſt qu’il hait un Roy doit-on ceſſer de l’eſtre ?
Sa haine ou ſon amour ſont-ce les premiers droits,
Qui font monter au Troſne ou deſcendre les Rois ?
Que le Peuple à ſon gré nous craigne ou nous cheriſſe,
Le ſang nous met au Troſne, & non pas ſon caprice,
Ce que le ſang luy donne il le doit accepter,
Et s’il n’aime ſon Prince il le doit reſpecter.

IOCASTE.

Vous ſerez un Tyran haï de vos Provinces.

POLINICE.

Ce nom ne convient pas aux legitimes Princes,
De ce titre odieux mes droits me ſont garands,
La haine des Sujets ne fait pas les Tyrans.
Appellez de ce nom Etéocle luy-meſme.

IOCASTE.

Il eſt aimé de tous.

POLINICE.

Il eſt aimé de tous. C’eſt un tyran qu’on aime,
Qui par cens laſchetez taſche à ſe maintenir,
Au rang ou par la force il a ſçeu parvenir.
Et ſon orgueil le rend par un effet contraire,
Eſclave de ſon Peuple, & Tyran de ſon Frere,
Pour commander tout ſeul il veut bien obeïr,
Et ſe fait mépriſer pour me faire haïr.
Ce n’eſt pas ſans ſujet qu’on me préfere un traiſtre ?
Le Peuple aime un Eſclave, & craint d’avoir un Maiſtre