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LES FRERES ENNEMIS.

Thebes doit-elle moins redouter ſa puiſſance,
Apres avoir ſix mois ſenti ſa violence ?
Voudroit-elle obeïr à ce Prince inhumain
Qui vient d’armer contre elle & le fer & la faim ?
Prendroit-elle pour Roy l’Eſclave de Mycéne
Qui pour tous les Thebains n’a plus que de la haine,
Qui s’eſt au Roy d’Argos indignement ſoûmis,
Et que l’Hymen attache à nos fiers ennemis ?
Lors que le Roy d’Argos l’a choiſi pour ſon Gendre,
Il eſperoit par luy de voir Thebes en cendre,
L’amour eut peu de part à cet hymen honteux,
Et la ſeule fureur en alluma les feux.
Thebes m’a couronné pour éviter ſes chaiſnes.
Elle s’attend par moy de voir finir ſes peines,
Il la faut accuſer ſi je manque de Foy,
Et je ſuis ſon Captif, je ne ſuis pas ſon Roy.

IOCASTE.

Dites, dites plûtoſt, cœur ingrat & farouche,
Qu’auprés du Diadéme il n’eſt rien qui vous touche.
Mais je me trompe encor ce rang ne vous plaiſt pas,
Et le crime tout ſeul a pour vous des appas.
He bien ! puis qu’à ce point vous en eſtes avide,
Je vous offre à commettre un double parricide,
Verſez le ſang d’un Frere : Et ſi c’eſt peu du ſien.
Je vous invite encore à répandre le mien.
Vous n’aurez plus alors d’ennemis à ſoûmettre,
D’obſtacle à ſurmonter ni de crime à commettre,
Et n’ayant plus au Troſne un fâcheux concurrant,
De tous les Criminels vous ſerez le plus grand.

ETEOCLE.

Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous ſatisfaire,
Il faut ſortir du Troſne & couronner mon frere,
Il faut pour ſeconder voſtre injuſte projet,
De ſon Roy que j’eſtois devenir ſon Sujet.