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seaux qui combattent les uns contre les autres. C’est alors qu’on a besoin, pour ainsi dire, d’un vent poétique qui enfle les voiles, qui fasse grossir la mer. Mais il faut pourtant que l’expression ne s’élève guère de terre, et qu’elle ne se ressente en rien de la fureur des corybantes ; enfin il faut aller bride en main.

N’avoir[1] point trop de soin de l’harmonie et du son, mais aussi ne pas écorcher les oreilles.

Il[2] faut bien prendre garde de qui on prend des mémoires, et ne consulter que des gens non suspects ou de haine ou de complaisance, soit pour eux-mêmes, soit pour les autres.

Quand[3] on a fait provision de bons mémoires, alors il faut les coudre, et faire comme une suite ou un corps d’histoire, sec et décharné d’abord, pour y mettre ensuite la chair et les couleurs.

Il[4] faut, comme le Jupiter d’Homère, que l’historien porte les yeux de tous côtés, tantôt sur les Thraces, tantôt sur les Mysiens[5] ; qu’il voie aussi bien ce qui se passe dans le parti des ennemis comme dans l’autre parti, qu’il mette tout dans une égale balance, qu’il se mêle, qu’il combatte, qu’il fuie avec les fuyards, qu’il donne la chasse avec les victorieux.

Son[6] esprit doit être[7] comme un miroir pur et sans taches, qui reçoit les objets tels qu’ils sont, ne mettant rien du sien qu’une expression naïve, sans se mettre en peine de quelle nature est ce qu’il dit, mais bien de quelle manière il le doit dire. C’est aux Athéniens à lui fournir l’or

  1. Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, § 46.
  2. Ibidem, § 47.
  3. Ibidem, § 48.
  4. Ibidem, § 49.
  5. Voyez l’Iliade, livre XIII, vers 4 et 5.
  6. Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, § 51.
  7. Dans le texte de Louis Racine : « Il doit être. »