commun consentement, il n’y a point de dieu qui soit plus ancien que l’Amour.
Mais c’est même de tous les Dieux celui qui fait le plus de bien aux hommes ; car quel plus grand avantage peut arriver à une jeune personne[1] que d’être aimé[2] d’un homme vertueux ; et à un homme vertueux que d’aimer une jeune personne qui a de l’inclination pour la vertu ? Il n’y a ni naissance, ni honneurs, ni richesses qui soient capables, comme un honnête amour, d’inspirer à l’homme ce qui est le plus nécessaire pour la conduite de sa vie : je veux dire la honte du mal, et une véritable émulation pour le bien. Sans ces deux choses, il est impossible que ni un particulier, ni même une ville, fasse jamais rien de beau ni de grand. J’ose même dire que si un homme qui aime avoit ou commis une mauvaise action, ou enduré un outrage sans le repousser, il n’y auroit ni père, ni parent, ni personne au monde devant qui il eut autant de honte de paroître que devant ce qu’il aime. Il en est de même de celui qui est aimé. Il n’est jamais si confus que lorsqu’il est surpris en quelque faute par celui dont il est aimé. Disons donc que, si par quelque enchantement une ville ou une armée pouvoit n’être composée que d’amants, il n’y auroit point de félicité pareille à celle d’un peuple qui auroit tout ensemble et cette horreur pour le vice et cet amour pour la vertu. Des hommes ainsi unis, quoique en petit nombre, pourroient, s’il faut ainsi dire, vaincre le monde
- ↑ Le texte grec est : νέῳ ὄντι. Racine dit dans sa Lettre à Boileau que l’abbesse de Fontevrault avait rectifié le discours d’Alcibiade. Il fait lui-même ici quelque chose de semblable. Voyez la note suivante, et ci-dessus la Notice, p. 429 et 430.
- ↑ Il y a ainsi aimé, au masculin, dans l’édition de 1732. Voyez ci-après, p. 469, ligne 22. — Nous avons à peine besoin de faire remarquer pourquoi Racine, dans ces deux passages, laisse un sens très-étendu au mot personne.