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sous-titre de Visionnaires, parce qu’elles ont été écrites contre des Marets de Saint-Sorlin, auteur de la comédie des Visionnaires, et singulièrement visionnaire lui-même, comme il venait de le prouver dans son Avis du Saint-Esprit au Roi, libelle extravagant dirigé contre les jansénistes. Les deux premières Visionnaires parurent au mois de janvier 1666. Dans la première, qui est en date du dernier jour de décembre 1665, Nicole reproche en ces termes à des Marets ses premiers ouvrages : « Chacun sait que sa première profession a été de faire des romans et des pièces de théâtre, et que c’est par où il a commencé à se faire connoître dans le monde. Ces qualités, qui ne sont pas fort honorables au jugement des honnêtes gens, sont horribles étant considérées selon les principes de la religion chrétienne et les règles de l’Évangile. Un faiseur de romans et un poëte de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d’une infinité d’homicides spirituels, ou qu’il a causés en effet ou qu’il a pu causer par ses écrits pernicieux. Plus il a eu soin de couvrir d’un voile d’honnêteté les passions criminelles qu’il y décrit, plus il les a rendues dangereuses, et capables de surprendre et de corrompre les âmes simples et innocentes. Ces sortes de péchés sont d’autant plus effroyables, qu’ils sont toujours subsistants, parce que ces livres ne périssent pas, et qu’ils répandent toujours le même venin dans ceux qui les lisent. »

Au moment où Port-Royal traitait si durement les poëtes du théâtre, Racine venait de faire représenter (décembre 1665) sa seconde tragédie, Alexandre le Grand. Ces anathèmes de Nicole devaient beaucoup ressembler à ceux que le jeune poète, depuis qu’il s’était émancipé, avait maintes fois entendus, avec impatience, de la bouche soit de ses anciens maîtres, soit de la Mère Agnès de Sainte-Thècle sa tante. Il pensa que c’était tout particulièrement à lui-même que, sous le nom de des Marets, s’adressait la mercuriale qu’on rendait publique ; elle lui en rappelait trop bien de plus secrètes. Laissons ici parler Jean-Baptiste Racine, dont les éditeurs des Œuvres de Racine commentées par la Harpe (1807) nous ont conservé les paroles[1],

  1. Voyez, au tome VI de l’édition de 1807, la fin de l’Avertissement sur la première lettre, p. 5 et 6.