Page:Racine - Œuvres, t3, éd. Mesnard, 1865.djvu/311

Cette page n’a pas encore été corrigée
301
PRÉFACE.

prince causoit beaucoup plus d’indignation que de pitié [1]. J’ai cru lui devoir donner quelque foiblesse qui le rendroit un peu coupable envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle foiblesse la passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père.

Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolyte l’épousa, et en eut un fils, après qu’Esculape l’eut ressuscité [2]. Et j’ai lu encore dans quelques auteurs [3] qu’Hippolyte avoit épousé et emmené

  1. La théorie sur laquelle s’appuie le reproche adressé à Euripide est celle d’Aristote dans la Poétique, chapitre XIII. Mais cette critique du caractère de l’Hippolyte grec, que Racine a trouvée si à propos pour justifier l’altération qu’il a fait subir à ce caractère, où l’a-t—il lue chez les anciens ? S’il ne l’y a pas lue, quel est celui de leurs commentateurs auquel il s’en est rapporté ? Nous n’avons pu découvrir la source, quelle qu’elle soit, où il a puisé. Nous savons seulement que Racine était incapable, non pas seulement de chercher à tromper ses lecteurs, mais même de parler légèrement. Dans sa Comparaison entre les deux Phèdres, p. 95 et 96, Schlegel, sans indiquer s’il croit que la critique citée par Racine ait été réellement faite dans l’antiquité, se contente d’en proposer une réfutation assez plausible : Hippolyte, quoique doué par Euripide de toutes les vertus morales, n’était pas irréprochable suivant les idées des anciens. Il avait traité Vénus avec dédain : c’était une faute.
  2. Énéide, livre VII, vers 751-769.
  3. Racine n’avait-il pas lu cette histoire d’une Aricie athénienne dans une traduction des Tableaux de Philostrate, publiée en 1615, en un volume in-folio, à Paris, chez la veuve Abel Langelier, sous ce titre : Les Images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates, … mis en François par Blaise de Vigenere ? Dans l’Annotation du tableau d’Hippolyte, au livre second, p. 311, il est dit à propos de la forêt Aricine mentionnée par Ovide : « On estime que ce lieu fut ainsi appelé d’une belle jeune demoiselle de la contrée d’Attique, nommée Aricie, de laquelle Hippolyte s’étant enamouré, l’emmena en Italie, où il l’épousa. » — Pradon, dans la préface de sa Phèdre, dit avoir tiré son épisode d’Aricie des Tableaux de Philostrate.