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ANDROMAQUE

Sur mon propre destin je viens vous consulter.
Déjà même je crois entendre la réponse
Qu’en secret contre moi votre haine prononce.

HERMIONE.

Hé quoi ? toujours injuste en vos tristes discours,
520De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ?
Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée ?
J’ai passé dans l’Épire, où j’étois reléguée :
Mon père l’ordonnoit. Mais qui sait si depuis
Je n’ai point en secret partagé vos ennuis ?
525Pensez-vous avoir seul éprouvé des alarmes ?
Que l’Épire jamais n’ait vu couler mes larmes ?
Enfin qui vous a dit que malgré mon devoir
Je n’ai pas quelquefois souhaité de vous voir ?

ORESTE.

Souhaité de me voir ! Ah ! divine princesse…
530Mais, de grâce, est-ce à moi que ce discours s’adresse ?
Ouvrez vos yeux : songez qu’Oreste est devant vous[1],
Oreste, si longtemps l’objet de leur courroux.

HERMIONE.

Oui, c’est vous dont l’amour, naissant avec leurs charmes,
Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes ;
535Vous que mille vertus me forçoient d’estimer ;


    Nous sommes ennemis, lui des Grecs, moi le vôtre ;
    Pyrrhus protège l’un, et je vous livre l’autre.
    HERM. Hé quoi ? dans vos chagrins sans raison affermi,
    Vous croirez-vous toujours, Seigneur, mon ennemi ?
    [Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée (a) ?] (1668 et 73)


    (a) Dans la Folle querelle (acte III, scène vi) un des personnages de la pièce cite les quatre premiers vers de cette variante comme un exemple de galimatias ; et celui qui fait le rôle du défenseur de Racine ne parvient pas à les expliquer. Subligny avait aussi critiqué, dans sa Préface, le vers :

    Vous croirez-vous toujours, Seigneur, mon ennemi ?


    « Je ne trouve point, dit-il, que vous croirez-vous mon ennemi ? pour dire : me croirez-vous votre ennemi ? soit une chose bien écrite. »

  1. Var. Ouvrez les yeux : songez qu’Oreste est devant vous. (1668-76)