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ACTE I, SCÈNE IV.

330Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre ;
Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l’ont pris,
Dans ses murs relevés couronner votre fils.

ANDROMAQUE.

Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère :
Je les lui promettois tant qu’a vécu son père[1].
335Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n’a pu conserver mon Hector.
À de moindres faveurs des malheureux prétendent,
Seigneur : c’est un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que loin des Grecs, et même loin de vous,
340J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux.
Votre amour contre nous allume trop de haine :
Retournez, retournez à la fille d’Hélène.

PYRRHUS.

Et le puis-je, Madame ? Ah ! que vous me gênez !
Comment lui rendre un cœur que vous me retenez ?
345Je sais que de mes vœux on lui promit l’empire ;
Je sais que pour régner elle vint dans l’Épire ;
Le sort vous y voulut l’une et l’autre amener :
Vous, pour porter des fers ; elle, pour en donner.
Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ?
350Et ne diroit-on pas, en voyant au contraire
Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés,
Qu’elle est ici captive, et que vous y régnez ?
Ah ! qu’un seul des soupirs que mon cœur vous envoie,
S’il s’échappoit vers elle, y porteroit de joie !

ANDROMAQUE.

355Et pourquoi vos soupirs seroient-ils repoussés ?

  1. Eritne tempus illud ac felix dies
    Quo, Troici defensor et vindex soli,
    Recidiva ponas Pergama ? · · · · ·
    · · · · · · Sed mei fati memor,
    Tam magna timeo vota : quod captis sat est,
    Vivamus · · · · · · · · · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 471-477.)