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ACTE I, SCÈNE I.

80Et se plaint d’un hymen si longtemps négligé.
Parmi les déplaisirs où son âme se noie,
Il s’élève en la mienne une secrète joie :
Je triomphe ; et pourtant je me flatte d’abord
Que la seule vengeance excite ce transport.
85Mais l’ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place :
De mes feux mal éteints je reconnus la trace[1] ;
Je sentis que ma haine alloit finir son cours,
Ou plutôt je sentis que je l’aimois toujours.
Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage.
90On m’envoie à Pyrrhus : j’entreprends ce voyage.
Je viens voir si l’on peut arracher de ses bras
Cet enfant dont la vie alarme tant d’États :
Heureux si je pouvois, dans l’ardeur qui me presse,
Au lieu d’Astyanax lui ravir ma princesse !
95Car enfin n’attends pas que mes feux redoublés
Des périls les plus grands puissent être troublés.
Puisqu’après tant d’efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne[2].
J’aime : je viens chercher Hermione en ces lieux,
100La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux.
Toi qui connois Pyrrhus, que penses-tu qu’il fasse ?
Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe.
Mon Hermione encor le tient-elle asservi ?
Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu’il m’a ravi[3] ?

PYLADE.

105Je vous abuserois si j’osois vous promettre

  1. C’est une imitation du vers de Virgile (Énéide, livre IV, vers 23) :

    · · · · Agnosco veteris vestigia flammæ.


    Corneille a dit, dans Sertorius (vers 263 et 264) :

    On a peine à haïr ce qu’on a bien aimé,
    Et le feu mal éteint est bientôt rallumé.

  2. Var. Je me livre en aveugle au transport qui m’entraîne. (1668-87)
  3. Var. Me rendra-t-il, Pylade, un cœur qu’il m’a ravi ? (1668-76)