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ÉPÎTRE.

éblouir les yeux de mes lecteurs, que de celui dont mes spectateurs ont été si heureusement éblouis ? On savoit que Votre Altesse Royale avoit daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie. On savoit que vous m’aviez prêté quelques-unes de vos lumières pour y ajouter de nouveaux ornements. On savoit enfin que vous l’aviez honorée de quelques larmes dès la première lecture que je vous en fis. Pardonnez-moi, Madame, si j’ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. Il me console bien glorieusement de la dureté de ceux qui ne voudroient pas s’en laisser toucher. Je leur permets de condamner l’Andromaque tant qu’ils voudront, pourvu qu’il me soit permis d’appeler de toutes les subtilités de leur esprit au cœur de Votre Altesse Royale.

Mais, Madame, ce n’est pas seulement du cœur que vous jugez de la bonté d’un ouvrage, c’est avec une intelligence qu’aucune fausse lueur ne sauroit tromper. Pouvons-nous mettre sur la scène une histoire que vous ne possédiez aussi bien que nous ? Pouvons-nous faire jouer une intrigue dont vous ne pénétriez tous les ressorts ? Et pouvons-nous concevoir des sentiments si nobles et si délicats qui ne soient infiniment au-dessous de la noblesse et de la délicatesse de vos pensées ?

On sait, Madame, et Votre Altesse Royale a beau s’en cacher, que dans ce haut degré de gloire où la nature et la fortune ont pris plaisir de vous élever, vous ne dédaignez pas[1] cette gloire obscure que les gens de lettres s’étoient réservée. Et il semble que vous ayez voulu avoir autant d’avantage sur notre sexe par les connoissances et par la solidité de votre esprit, que vous

  1. Le manuscrit que nous avons mentionné plus haut (p. 30, note I) porte point, au lieu de pas : « vous ne dédaignez point. »