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ANDROMAQUE

encore à l’Hôtel de Bourgogne, fut chargé de représenter le même personnage. Sa noble figure, sa belle taille, la dignité de son geste le rendaient très-propre à ces rôles de rois. Il reprit celui de Pyrrhus en 1720, lorsqu’il reparut sur la scène, dont il s’était tenu éloigné vingt-neuf ans.

Au dix-huitième siècle, l’art du tragédien fut porté très-haut. On y eut généralement l’opinion, difficile, il est vrai, à contrôler, que les plus fameux acteurs du siècle précédent étaient fort dépassés, surtout que la déclamation s’était beaucoup rapprochée de la nature et de la vérité. Baron appartient aux deux âges. Le rôle de Pyrrhus, qui, nous venons de le voir, avait été si longtemps en bonnes mains, fut aussi un des meilleurs de Quinault-Dufresne, qui brilla sur le théâtre français de 1712 à 1741 : « acteur plus éblouissant que profond, dit Mlle Clairon dans ses Mémoires[1], noble, mais jamais terrible ; plein de chaleur, mais sans ordre, sans principes, » et qui devait à son bel et imposant extérieur une grande part de ses succès. Parmi les plus touchantes Andromaques on cite Mlle Gaussin (Andromaque fut un de ses rôles de début en 1731[2]), et, beaucoup plus tard qu’elle, dans les dernières années du siècle, Mlle des Garcins, qui la rappelait, avec moins de beauté, mais presque son égale par la sensibilité touchante, la douceur charmante de la voix et le même don de faire couler les larmes.

Mais de tous les rôles de la tragédie d’Andromaque, ceux que les acteurs du dix-huitième siècle jouèrent avec le plus d’éclat, furent ceux d’Hermione et d’Oreste. Les belles Hermiones sont nombreuses en ce temps. Mlle Lecouvreur, qui avait débuté à la Comédie française en 1717, est la première en date, et peut-être la plus parfaite. Nous disons la première en date ; car nous ne croyons pas que la Duclos, qui l’avait précédée au théâtre, et qui, dès 1696, avait doublé la Champmeslé dans ses grands rôles, ait particulièrement brillé dans celui d’Hermione. Louis XIV, à ce qu’on rapporte, avait dit que pour remplir parfaitement le rôle d’Hermione, il eût fallu que la

  1. Mémoires d’Hippolyte Clairon (I vol. in-8o, à Paris, chez F. Buisson, an vii), p. 34.
  2. Elle joua aussi plus tard le rôle d’Hermione, qui convenait peut-être moins au caractère de son talent.